Les "petites bonnes"

ou enfants domestiques au Maroc

 

 

La souffrance invisible des "petites bonnes"

Elles ont entre 6 et 15 ans. Elles ont été placées comme domestiques dans de riches familles marocaines. Exploitées, battues, violées: derrière les murs des villas, la détresse des «petites bonnes» est immense.

Elles se réveillent à l’aube et ne se couchent que très tard le soir. Elles ne dorment toujours que d’une oreille, prêtes à anticiper les besoins des membres de la famille dont elles ne font pas partie.

Des mains de petites vieilles...

On les reconnaît à leurs mains de petites vieilles. Des paumes ridées, usées, élimées, meurtries, à force de nettoyer, astiquer, éplucher, porter. Les visages semblent plus âgés, empreints d'une immense lassitude. Les regards plus durs. Mais ces bras-là, ces visages, sont bien ceux de fillettes de sept ans. Difficile d'imaginer la souffrance derrière ces yeux baissés et ces épaules voûtées. L'innocence de l'enfance s'est envolée si vite. Rasha, Farida et Mounia sont des petites bonnes. Employées par de riches familles marocaines pour 200 Dirhams par mois, soit 19 euros, à travailler de 6h du matin à minuit, à faire le ménage, la vaisselle, le marché, à s'occuper des petits.

Originaires des campagnes, la plupart de ces fillettes ont été envoyées par leurs familles pour travailler en ville, placées par de véritables courtiers en domestiques. «Les filles rurales ont la réputation de ne pas être malignes ou malsaines, et donc ne peuvent trahir la maîtresse en volant ou en introduisant un étranger dans la maison», explique le docteur Chakib Guessous. Plus elles sont jeunes, plus elles peuvent être «dressées» facilement.

66'000 petites filles à l'enfance volée...

On voit tous les jours ces fillettes se trimballer d’un lieu à l’autre. Les «petites bonnes» ont toujours fait partie du décor au Maroc, jusqu’à ces dernières années. Certaines consciences se réveillent, lentement mais sûrement. Un projet de loi censé interdire le travail domestique des enfants devrait bientôt voir le jour. En attendant, 66’000 petites filles portent chaque jour un peu plus les marques de l’enfance qu’on leur a volée...

L’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) s’est penchée sur le sujet. "Au Maroc, 11% des enfants âgés de six à quinze ans travaillent, ce qui représente l'un des taux les plus élevés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord", a affirmé Clarissa Bencomo, chercheuse chargée par HRW des droits de l'enfant dans cette région. "En Egypte, il ne sont que 6% à travailler et pourtant ce taux fait scandale", a-t-elle précisé lors d'une conférence de presse à Casablanca. Selon Mme Bencomo, environ 600'000 enfants, âgés de six à quinze ans, travaillent au Maroc, dont environ 66'000 petites domestiques.

Les «petites bonnes» sont «à l’intérieur des maisons mais en marge de la loi»: «Inside the house, outside the law» est le titre du rapport de 60 pages publié par HRW. C’est le fruit d’une enquête menée à Casablanca, Rabat et Tanger, entre mai et novembre 2005. Les résultats sont désormais disponibles intégralement depuis le 18 janvier. La situation est catastrophique. "Les petites bonnes marocaines travaillent 126 heures par semaine et subissent des violences physiques et sexuelles de la part de leurs employeurs. Elles triment entre 14 et 18 heures par jour durant toute la semaine et sans aucun repos. Elles reçoivent uniquement 4 dirhams par jour". En gros, «on n’est pas loin de l’esclavagisme, et très loin de la dérogation prévue par le Code du travail marocain».

En effet, celui-ci n’inclut pas le travail domestique… Du coup, il est difficile de venir à bout de ce phénomène, d’autant plus que les inspecteurs du travail ne peuvent pas, jusqu’à présent, violer l’intimité des foyers pour s’assurer du bon (ou mauvais) traitement infligé à ces enfants. Les abus de toutes sortes sont légion: cela va des «simples» coups de pieds en guise de réveil le matin aux pires sévices sexuels, en passant par la torture morale. Condamner les responsables est une tache ardue étant donné qu’il est presque impossible pour ces petites victimes de prouver quoique ce soit. Presque, parce que certains cas, extrêmes, certes, ont pu être jugés ces dernières années et la presse en a largement fait écho. Cela démontre un tant soit peu que les choses commencent tout de même à s’améliorer. Les Marocains prennent de plus en plus conscience qu’il s’agit d’enfants qui ont besoin de leurs parents, d’aller à l’école, de jouer…Bref, d’avoir une vie d’enfant.

Le sondage effectué sur le site d’« Aujourd’hui le Maroc » montre que 83% des réactions ont appuyé l’idée de criminalisation de l’emploi d’enfants pour travaux domestiques. Cette idée suit son chemin puisque MmeYasmina Baddou, Secrétaire d’Etat chargée de la Famille, de la Solidarité et de l’Action Sociale, a d’ores et déjà affirmé que le Ministère de l’Emploi se penche sur un projet de loi dans ce sens-là. Mais les lois ayant du mal à être respectées au Maroc, encore faudrait-il accompagner cela de mesures fortement dissuasives et de bonnes campagnes de communication.

Cependant, le problème demeure. Seule une pauvreté extrême doublée d’une grande ignorance peuvent pousser des parents à se séparer de leur enfant, le livrant aux mains d’inconnus qu’il devra baiser matin et soir. Il faut traiter le mal à la racine, toucher la famille rurale en premier lieu: créer des projets promoteurs de revenus, généraliser l’accès à l’eau et l’électricité, rapprocher les écoles des douars (villages) pour qu’enfin toutes les petites marocaines aient le droit d’être des enfants.

Des séquelles physiques et psychologiques

Ces filles qui rêvaient de vivre en ville une vie de princesse, découvrent alors l'envers du décor, que même les familles ignorent. L'exploitation, les vexations, la violence de la maîtresse de maison, les attouchements du chef de famille.

HRW met l'accent sur les violences réelles que subit la petite bonne quotidiennement. Battues au fil électrique (Najat, 11 ans), la tête écrasée contre le mur (Saïda, 15 ans), les témoignages de filles maltraitées abondent. Une ONG dit « recevoir une centaine de griefs par mois, de petites bonnes essentiellement, provenant de douars indigents autour de Marrakech ». Certes, les petites filles interrogées attestent que les familles de classes moyennes sont plus clémentes que celles de la classe bourgeoise, car plus enclines à se rapprocher de leurs jeunes employées, alors que les plus fortunés les traitent comme des servantes. Ceci dit, la discrimination est monnaie courante. Elle se traduit par des nuits passées à la cuisine, un travail sans répit, pas de télé, des punitions à la chaîne, etc.

Or, selon l'Organisation internationale du travail, dont les principes sont adoptés par le Maroc, « être battu, avoir droit aux restes du repas de la famille, travailler la nuit, ne pas avoir droit de quitter la maison, cela veut dire que l'enfant travaille sous des conditions contraignantes et inadmissibles ». Au ministère de l'Emploi, concerné au premier chef, la réponse est toute prête: « Rien ne nous permettrait de violer l'espace privé des gens pour s'enquérir de l'Etat de santé d'une petite bonne prétendument séquestrée”. Et voilà qui justifie le statu quo.

Or, la violence prend des formes encore plus extrêmes d'exploitation ou au moins de harcèlement sexuel. Explication : ces jeunes filles ont tendance à dire « hadir » (d'accord) à tout ce que leur demandent leurs bienfaiteurs. « Même lorsqu'elles n'ont pas été victimes de viol, elles sont vulnérables à l'exploitation sexuelle, parce qu'elles sont en quête d'une tendresse dont elles ont été privées dans leur enfance », note Clarissa Bencomo, l'enquêtrice de HRW.

Le rapporteur spécial des Nations Unis chargé du droit des enfants, a conclu, dès 2002, qu'il y avait au Maroc « un taux élevé de viols et de mauvais traitements des petites bonnes ». Le comble est que même lorsqu'elles y échappent, elles ne sont pas sauvées pour autant. La preuve, 36% des bénéficiaires d'une association de mères célibataires sont d'anciennes petites bonnes. Donnée que corrobore une étude gouvernementale menée en 2002 sur la région de Casablanca: « la plupart des mères non mariées ont été domestiques dans une vie antérieure ». Est-ce une fatalité? HRW considère, enquêtes de terrain à l'appui, que « le statut de petite bonne mène soit à la rue, au mariage précoce, à la prostitution ou à un trouble psychologique insurmontable ».

Tiraillées entre le devoir d'aider leur famille, la tentation de la fugue et la peur de la rue, elles vivent dans des conditions proches de l'esclavage. En silence. Certaines sont même débaptisées, si par malheur elles portent un prénom un peu trop à la mode ou le même que sa maîtresse.

Dans le quartier Essaada de Casablanca, le centre Bayti (« Ma maison ») s'occupe de recueillir ces fillettes et de les scolariser. «Je me souviens de Rachida qui est arrivée ici vers 7 ans. Elle avait été violentée, son corps était meurtri de brûlures de cigarettes et de traces de couteaux, le visage complètement défiguré. C'est la police qui nous l'a amenée», explique Saïda Saghir, membre du centre. «Ces fillettes qui s'enfuient ont vécu dans la terreur. Cela laisse irréversiblement des séquelles psychologiques et physiques».

On mord les petites bonnes!

Encore un cas de maltraitance, sévices corporels: Morsures, griffures et coups... Ironie du sort! Alors que le monde entier célébrait la journée mondiale de lutte contre le travail des enfants (dimanche 12 mai), Halima El Ayadi, une petite bonne, s’est trouvée au seuil d’une mort certaine au quartier Chrifa à Casablanca.

Pour échapper aux représailles de son employeur, après avoir cassé accidentellement un vase, la petite fille a tenté de se suicider. Elle était sur le point de se jeter d’une fenêtre au troisième étage. Heureusement, des voisins l’ont empêchée d’aller au bout de son acte et l’ont emmenée à l’hôpital Baouafi.

Devant une telle horreur, il est légitime de se demander quel genre de représailles peut pousser une fillette, âgée entre 12 et 14 ans, à se jeter du troisième étage. Selon Halima, ses employeurs (la femme en particulier, le mari et le fils) ne cessaient de la maltraiter. Des traces de coups sur son corps chétif témoignent de l’atrocité des sévices qu’elle a subis pendant longtemps. Pour les ecchymoses sur son oeil gauche, «c’est un coup de bâton», explique-t-elle, le regard hagard.

Il est difficile d’imaginer l’impact d’un violent coup de bâton sur ce petit visage. Le corps de Halima est loin d’avoir révélé toutes ses souffrances. En effet, le dos, les bras, les jambes et d’autres parties du corps de la petite bonne portent des traces de morsures anciennes, mais bien apparentes. «C’est la maîtresse de maison qui me mordait», confirme Halima. «Elle est cruelle et me battait tout le temps. Son mari et son fils faisaient pareil», ajoute-t-elle.

Selon Noureddine Abou Saâd, médecin en chef du service Pédiatrie à l’hôpital Baouafi, Halima a été victime de morsures, griffures et coups qui datent de plusieurs mois. Sur le plan psychologique, elle présente les signes d’un début de dépression: elle est traumatisée et angoissée.

Originaire de la région de Bir Jdid, Halima est orpheline. Elle travaille chez ses employeurs depuis toute petite. Elle ne sait ni lire ni écrire, tout simplement parce qu’elle n’a jamais fréquenté l’école. Et n’a aucune idée de son âge. Selon ses dires, sa mère l’a «cédée» contre la modique somme de 200 DH par mois.

L’association Insaf compte se présenter en tant que partie civile dans cette affaire. Nabila Tber de l’association explique que beaucoup de cas similaires existent. Les employeurs peuvent être condamnés si l’affaire suit son cours normal. C’est le cas de l’employeur de la petite bonne Sanae, qui a écopé d’un an et demi de prison ferme pour maltraitance. Les citoyens peuvent jouer un rôle primordial dans la lutte contre ce phénomène en dénonçant les coupables.

La dérive vers la prostitution

L’histoire de certaines filles domestiques est calquée sur celle des filles des rues. Mais par contre, elles n’y sont présentes que très peu. Elles saisissent les opportunités lorsqu’elles se retrouvent à l’abri du regard de ses maîtres, pour se livrer à la prostitution en cachette.

Quand la révolte gagne les plus excédées, elles descendent dans la rue où d’autres les ont déjà précédées. Puis la descente aux enfers commence. Elles continuent à travailler dans les ménages et sont initiées, entre temps, aux joies nocturnes: alcool, cigarettes, maquillage, nouveau look vestimentaire, le rêve ! Kaltoum, 17ans, une domestique chez une famille aisée de Casablanca, affirme qu’elle se prostitue à chaque fois que l’occasion se présente, afin de répondre à certains de ses besoins. Elle travaille depuis plus de dix ans, et c’est le père qui empoche son salaire chaque fin de mois, sans même chercher à avoir de ses nouvelles. Les jeunes filles domestiques qui balancent vers la prostitution, mentent en ce qui concerne leur âge: les habits et le maquillage outrancier et même l’alcool, contribuent largement à vieillir leur look. L’argent gagné contribue pour beaucoup d’entre elles à soigner leur apparence, et à aider leur famille. Le premier client est souvent une personne de l’entourage. La jeune fille subit, et souvent déclare qu’elle ne se souvient pas de ce premier contact: elle décide d’effacer ce mauvais incident de sa mémoire. Une méconnaissance des maladies sexuellement transmissibles est largement retrouvée dans ce milieu de filles analphabètes et issues du milieu rural.

Les relations sont souvent tendues entre les employeurs et la domestique. Il en résulte quelquefois même des situations dramatiques. Certaines petites filles se sont vengées de la cruauté de leurs patrons en allant même jusqu’à commettre des vols ou crimes. Les dossiers opposant des employeurs à leurs domestiques s'empilent dans les tribunaux. Qui doit être condamné ?

Petites bonnes devenues enfants des rues

Bayti, foyer d’accueil à Casasblanca, est un lieu de résidence pour le enfants qui n’ont pas eut la possibilité de rejoindre leur famille biologique pour différentes raisons, notamment les petites bonnes.

Elles arrivent en ville et sont donc embauchées par des riches pour faire le ménage ; si elles tombent malade ou qu’il survient un quelconque problème, on les remplace et elles se retrouvent dans la rue ou elles sont soit exploitées dans des réseaux de prostitution ou comme esclave pour aller vendre des babioles aux touristes. L’œil aiguisé de l’éducateur de rue est capable de remarquer le contraste vestimentaire du riche et de la petite bonne qui le suit en portant des affaires. Ce phénomène a récemment été publié dans les médias au Maroc et suite à ces publications les riches se montrent bien moins en leur présence dans la rue car cela n’est plus très «populaire».

Le phénomène nouveau est que de plus en plus de ses filles intègrent des groupes d’enfants de la rue.

Des enfants invisibles pour la loi...

Pour endiguer l'exploitation des jeunes filles, le problème vient avant tout de l'application de la législation. Les textes sont clairs. Selon la convention des Droits de l'enfant, ratifiée par le Maroc, « un enfant ne peut occuper un travail à partir de 12 ans, que dans un cadre familial et dans des conditions saines ».

Au Maroc, la scolarisation est obligatoire, le travail interdit en-dessous de 15 ans. Or, aucune de ces lois n'est respectée. Né après des décennies de tractations le 8 décembre 2003, le Code du travail marocain n'autorise les moins de 16 ans à « travailler que 10 heures par jour, dont 1 heure de pause ». Nuance, il ne s'agit, dans cette clause, que de travail agricole, industriel ou artisanal. Et les petites bonnes là-dedans ?

« Un texte de loi était prévu en décembre 2005 pour les travailleurs domestiques, explique un acteur associatif, mais puisque les droits de l'enfant n'y sont pas suffisamment protégés, il reste en ballottage entre les ministères ». Ici et là, on justifie son incapacité à venir à bout du fléau. Au ministère de l'Emploi, les quelque 300 inspecteurs en poste ne suffiraient pas pour contrôler, outre les entreprises, les ménages. Le comble, explique Khalid Belkoh de l'Espace associatif, est qu'ils « ne sont pas outillés pour définir ce qu'est la maltraitance d'une petite bonne et n'ont aucun moyen pour vérifier le nombre d'heures de travail qu'elle effectue ». Au secrétariat d'état de la solidarité et la famille, la section « enfants » est le parent pauvre. Il n'y a rien à en attendre. Et au département de la Justice, rapporte HRW, « les procès sont rares, d'autant qu'il faudrait à chaque fois deux témoins pour prouver le tort causé à la petite bonne par son employeur ».

«Les inspecteurs du travail n'ont pas autorité pour enquêter à domicile sur les violations de la loi interdisant le travail des enfants de moins de quinze ans», ajoute le rapport de HRW. «Le problème avec les petites bonnes, c'est qu'elles sont invisibles», surenchérit Lahcen Haddad, responsable d'Adros, un organisme d'alphabétisation à destination des enfants qui travaillent. «Beaucoup d'autres gamins sont exploités au travail: dans les garages automobiles, dans l'atelier des artisans. Mais ces fillettes vivent des situations souvent atroces derrière les murs, loin de tout regard».

Dans son rapport, HRW reproche au «gouvernement marocain le peu d'ardeur à combattre les pires formes d'exploitation des enfants employés comme domestiques». En mai 2006, un début de réponse se dessinait avec la présentation par le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité d'un programme national de lutte contre le phénomène des petites bonnes, intitulé Inqad (« Sauvetage »).

En effet, une campagne nationale visant à sensibiliser aux dangers de l’embauche de petites bonnes a été lancée dans plusieurs villes du Maroc. Le mot d’ordre: stopper ou au moins diminuer l’ampleur du phénomène des petites filles domestiques. La campagne de sensibilisation devra durer un mois et cibler tous les supports pour une large diffusion. Pour Yasmina Baddou, qui pilote l’opération, la campagne vise les parents, les employeurs et les intermédiaires.

 "Nous voulons que cette campagne sensibilise l’opinion publique dans son ensemble aux dangers inhérents à ce fléau social, qui confisque les droits humains de plusieurs milliers de filles et hypothèquent leur présent et leur avenir", a déclaré Yasmina Baddou, secrétaire d’Etat à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes Handicapées, à des journalistes, en janvier 2007 à Rabat. Mme Baddou a indiqué que cette campagne marque le début du projet Inqad, qui s’inscrit dans le cadre du Plan d’Action National pour l’Enfance adopté par le Gouvernement l’an dernier [2006, NDLR].

La secrétaire d’Etat à la famille est catégorique: « Le Maroc qui s’est engagé dans de grands chantiers de développement ne peut plus tolérer des pratiques qui touchent aux droits fondamentaux ». En effet, le projet Inqad, composante essentielle du plan d’action pour l’enfance (2006-2016) que la ministre a dévoilé lors d’une conférence de presse, s’articule autour de trois axes.

Le premier porte sur les réformes juridiques. Un projet de loi sur le travail domestique a été élaboré. Il fixe l’âge minimum de l’employé, prévoit des contrats de travail et des mesures répressives à l’encontre des employeurs de petites filles et contre les intermédiaires qui profitent de la misère d’une population pauvre et souvent rurale. Cependant, élaborer un texte est une bonne chose, encore faudrait-il le faire approuver par le Parlement et le mettre en œuvre.

Le deuxième axe concerne la sensibilisation. Dans cette opération, plusieurs actions ont été programmées avec comme idée centrale: toucher les parents et les employeurs. C’est ainsi qu’une caravane a été organisée vers les zones pourvoyeuses de petites bonnes. Seront donc ciblés Casablanca et sa région avec notamment Settat, Khouribga et Kalaât Sraghna. Au menu également, Marrakech et Rabat et les zones qui les alimentent. Fès et sa région comme Taza, Taounate, Boulmane et Rachidia. La caravane s’est arrêtée dans les souks et les douars pour faire prendre conscience à la population sur les avantages de garder les petites filles sur les bancs de l’école. C’est l’objectif recherché par Yasmina Baddou. Pour elle, « le travail des petites filles est un fléau social qui hypothèque l’avenir des enfants et partant le développement économique et humain de notre pays ».

Cette campagne a proposé une série de spots de sensibilisation et d’information à la radio et à la télévision. Des forums de discussion proposant un large éventail de matériels d’information destinés aux personnes employant des petites bonnes ont été organisés dans les quatre régions couvertes par le projet (Casablanca, Rabat, Fez et Marrakech). Une caravane publicitaire a parcoure ces villes, distribuant des matériels de sensibilisation aux familles qui emploient des petites bonnes et à celles considérées comme susceptibles de placer leurs jeunes filles sur le marché des emplois domestiques.

La prévention est aussi l’un des axes principaux du programme Inqad, qui vise à lutter contre les facteurs favorisant le phénomène. Il s’attaque ainsi au réseau des intermédiaires et encourage les familles en milieu rural à envoyer leurs filles à l’école. En parallèle, des packs avec une lettre signée par la ministre et son homologue Habib el Malki ont été distribués aux enseignants et dans les écoles. Cette catégorie de la population a un rôle central dans la vulgarisation et la sensibilisation aux méfaits du travail des petites filles.  

«Le système éducatif a un rôle très important à jouer. Il doit prévenir l'abandon des petites filles du système scolaire. Or, celui-ci ne joue pas son rôle, à cause des violences scolaires, du manque d'encadrement, de l'absentéisme des professeurs», poursuit Lahcen Haddad. La ministre Yasmina Baddou appelait à édifier un «Maroc digne de ses enfants».

Pour en savoir plus sur ce projet "Zéro petites bonnes en 2010?", cliquez ici.

L’autre composante du programme, les actions de proximité. Tout le monde est conscient d’une donne: la pauvreté alimente le travail des petites filles. Pour agir à la source, le département de Baddou compte travailler avec le réseau associatif dans des zones ciblées pour monter des projets générateurs de revenus. Pour cela, des fonds seront mobilisés par des partenaires comme l’agence de développement social, les associations de micro-crédit ou encore l’INDH [Indicateur National du Développement Humain, NDLR].

HRW demande au gouvernement marocain de "faire appliquer de façon stricte l'interdiction de travailler pour les enfants de moins de quinze ans, y compris pour le travail domestique", et de "prévoir des sanctions" contre ceux qui violent la loi. Elle recommande également la promulgation d'une loi permettant de contrôler l'embauche des domestiques.

Cette attitude est partagée par l'UNICEF dont une représentante au Maroc, Rajae Msefer Berrada souligne "la nécessité d'une loi qui interdise le travail domestique des enfants". "Nous travaillons en collaboration avec le gouvernement marocain pour arriver à ce but", a indiqué à l'AFP Mme Berrada. "Il faut mettre un terme à ce type de travail dangereux", a ajouté la représentante de l'Unicef.

D'autres initiatives...

Pour lutter contre ce phénomène, la princesse Lalla Meriem, la sœur aînée du roi Mohamed VI et présidente de l'Observatoire national des enfants, a associé, depuis 2005, ses efforts à ceux des associations en vue de mener une action contre la maltraitance des enfants, y compris les petites bonnes. Le Maroc a ainsi mis au point une stratégie pour promouvoir les droits des enfants, et la création d'un parlement des enfants s'inscrit aussi dans ce contexte.

Par exemple, dans une déclaration au 3ème Congrès régional de lutte contre la violence à l'encontre des enfants, tenu au Caire, fin-juin, la princesse a annoncé la création d'un centre de référence pour l'écoute et la prise en charge des enfants victimes de violences en vue de leur assurer une défense juridique et une assistance psychologique nécessaires.

Femmes libérées et petites bonnes

Au Maroc où il y a un embryon de classe moyenne qui se dit porteuse de projet de société moderne et égalitaire, un phénomène d’extrême exploitation infantile existe toujours, celui des petites bonnes. Le plus honteux c’est qu’il s’agit souvent de fillettes n’ayant même pas atteint l’âge de la puberté.

Si ce phénomène d’exploitation existait uniquement chez quelques familles de la bourgeoisie traditionnelle habituées à la ségrégation des campagnards, on pourrait digérer la chose. Le pire c’est que la classe moyenne (ou plutôt les ménages à revenu moyen) composée de femmes libérales enseignantes ou fonctionnaires qui se définissent comme «modernes» pratique cela. Souvent les sévices infligés aux petites bonnes sont le fait de la femme qui l’emploie, qui n’a d’autre sujet de discussion dans les salons et même au bureau que «ma bonne a fait».

La racine du mal vient d’un archétype social car dans l’inconscient collectif de la femme au Maroc, avoir une bonne est signe de réussite sociale, de libération de l’aliénation au travail domestique qui colle à la gente féminine depuis l’aube des temps. Surtout dans une société patriarcale comme le Maroc. Par ailleurs, le spectre de la femme rivale guette toujours notre maîtresse de maison qui voit dans la bonne, surtout si elle est gâtée par la nature, une tentation possible pour son mâle. Ce qui peut arriver réellement, la seule réaction possible c’est de rendre cette petite bonne la plus laide possible pour la distinguer de ses propres enfants et la rendre indésirable.

La situation de Casablanca

Le Haut commissariat au plan vient de publier une enquête sur les filles domestiques à Casablanca, région qui connaît une forte concentration de ces jeunes employées de maison. Les chiffres portent essentiellement sur leurs conditions d'accueil et de travail. Réalisée par sondage sur un échantillon de 529 filles domestiques, cette enquête a révélé que ces filles travaillent chez des ménages, et résident, à proportions quasi-égales, dans tous les types d’habitat. Par ailleurs, la grande majorité des employeurs ignorent les préoccupations et les problèmes concernant les filles qu’ils emploient.

L’enquête a avancé le nombre de petites bonnes âgées de moins de 18 ans qui travaillent dans la région du Grand Casablanca. Elles sont 22’940 domestiques, dont 59% âgées de moins de 15 ans. La grande majorité de ces filles est issue du milieu rural. Elles appartiennent à des familles nombreuses, et plusieurs sont orphelines de père. Cependant 20% de filles trouvent un emploi à travers des intermédiaires, généralement à travers des agences informelles.

Ce recours à un travail intervient à un âge très précoce dans la mesure où l’âge moyen de la fille domestique se situe à 10 ans. Certaines de ces domestiques ont même déclaré être âgées de 5 à 7 ans. Certaines familles emploient ces petites avec la meilleure bonne conscience qui soit. «On a tiré cette fille du village. De toute manière, dans ce village, il n'y a pas d'école. Par conséquent, elle n'aurait jamais été à l'école. Au moins, là, elle mange et on lui apprend un peu quelque chose», déclare une employeuse. Cependant, l’écrasante majorité de ces domestiques sont analphabètes, leur non-scolarisation est due essentiellement au manque de moyens, au refus du tuteur, ou à l’éloignement de l’école.

Le second volet de l’enquête a porté sur les conditions de travail de ces fillettes. Ces dernières continuent d’entretenir des contacts avec leurs familles en recevant les visites de leurs parents, ou en rendant elles-mêmes visite à ces derniers. Les parents se rendent au ménage employeur essentiellement pour percevoir le salaire de leur fille, mais se déplacent rarement pour s’enquérir de ses conditions de vie. En plus des travaux ménagers, la majorité de ces filles se chargent également des courses. «J’accomplis simultanément trois tâches: la garde des bébés, les courses et l’accompagnement des enfants de l’employeur à l’école», se plaint Sanaâ, une petite bonne âgée de 13 ans. Les filles domestiques sont les premières à se lever et les dernières à se coucher. Une partie d’entre elles ne bénéficie ni de congé annuel, ni de jours de repos, ni jours de fêtes. Le montant de leur rémunération mensuelle reste malgré cela, globalement trop faible.

Le témoignage d'Aïcha, 13 ans, domestique perdue dans Casablanca

Un père décédé, 7 frères et sœurs: Aïcha est l’aînée d’une famille pauvre de la région de Ouezzane au Maroc. Quand une voisine a proposé pour elle à sa mère un emploi de domestique en ville, la petite fille n’a pas été consultée. La mère avait confiance et le ménage manquait d’argent: Aïcha s’est retrouvée auprès d’une famille à Casablanca.

Aïcha était payée une misère. Au village, la voisine, spécialiste de ce genre de placement et récupérant une commission au passage a trouvé une seconde famille pour un salaire un peu meilleur. Mais les choses se sont aggravées. Aïcha a été frappée, maltraitée. Elle a préféré fuir.

Seule dans Casablanca, sans repère, elle a finalement été arrêtée par la police pour vagabondage. Incapable de donner le nom de son village d’origine, elle a été envoyée auprès d’un procureur qui l’a placée dans un centre de détention pour jeunes mineurs. Endroit fort peu épanouissant où se côtoient sans distinction fillettes privées de famille et jeunes délinquantes. C’est là qu’une ONG a entrepris d’aider Aïcha à retrouver sa mère. C’est aujourd’hui chose faite grâce au patient travail accompli à partir des quelques indications qu’Aïcha a réussi à donner. La jeune fille vit aujourd’hui auprès de sa famille.

Pour elle, le cauchemar est terminé. Mais d’autres cas existent au Maroc.

Les témoignages d'Habiba et d'Hafida, deux anciennes "petites bonnes"

De petites mains toutes rouges et abîmées à force de travailler de longues heures, le crâne rasé, des fillettes mal nourries et mal logées, battues, ligotées et même brûlées sont autant de traces de violences exercées sur les enfants domestiques au Maroc, et dénoncées à IPS [Inter Press Service, NDLR] par Habiba Hamrouch, une ancienne domestique.

"J'en ai vu de toutes les couleurs depuis que j'étais placée en 1990 dans une famille comme bonne (domestique)", se rappelle Habiba. "C'est un très mauvais souvenir et j'ai détesté mon père pour ce qu'il a fait de moi, une pauvre petite bonne qui n'a droit à rien; j'avais juste huit ans quand j'ai commencé à travailler".

Selon Habiba, le sort de ses deux sœurs n'était pas meilleur car elles étaient également placées comme domestiques. "Ma mère, une femme soumise (à son mari), ne pouvait rien faire, sauf pleurer en silence car on était vraiment dans le besoin...", ajoute-t-elle, aujourd'hui âgée de 22 ans et mariée.

"C'est scandaleux de voir de petites filles en âge de scolarisation placées comme domestiques; leur place est sur les bancs de l'école avec un livre entre les mains et pas une serpillière ou un balai beaucoup plus grand que leur taille", déclare Fouzia Tawil, une activiste de l'Association de défense des droits de la femme et de l'enfant, basée à Casablanca. "Des petites filles malades et chétives sont toutes à la merci de leurs bourreaux, entre la vaisselle, le ménage et la garde d'enfants; leur enfance est volée", dit-elle, indignée, à IPS.

La contre-partie du soi-disant travail de ces fillettes, est une misère payée à leurs parents. "Je n'ai jamais vu le petit rond tout le temps que j'ai travaillé jusqu'à l'âge de 17 ans", affirme Habiba qui a quitté ses employeurs pour se marier et vivre enfin une vie comme elle en rêvait.

Aujourd'hui, Habiba a deux enfants, une fille de dix ans qui va à l'école et un garçonnet de deux ans. "Ma petite Sanaa est ma revanche, je ferai tout pour qu'elle fasse des études; moi-même, je suis des cours d'alphabétisation pour pouvoir assurer un suivi à mes enfants", confie Habiba à IPS, heureuse des résultats scolaires de sa fille qui passe en classe supérieure avec une bonne moyenne.

Généralement et par pudeur, les fillettes n'osent pas aborder le harcèlement sexuel dont elles sont souvent victimes, un problème qui reste tabou, mais, Hafida Hosman a bien voulu en parler. Agée aujourd'hui de 18 ans, elle raconte à IPS, avec une haine affichée, son expérience chez ses ex-employeurs. "J'avais 14 ans quand ma mère m'a donnée à une famille riche de Rabat; leur fils, un adolescent de 16 ou 17 ans, usait de tous ses moyens pour abuser de moi en l'absence de ses parents sans que je puisse me plaindre".

Hafida ajoute comme pour se libérer d'un lourd fardeau. "Même son cousin, un sale morveux, ose me pincer les fesses à chaque fois qu'il débarque à la maison. Ils étaient tellement gâtés que personne ne me croira; et puis, ils sont les seigneurs et se permettent tout". Elle dit à IPS qu'elle a pu se sauver avec l'aide d'une voisine.

Le témoignage d'une samsarate

Fatima Zénoul, une "samsarate" (femme intermédiaire qui recrute les petites filles et les place dans des familles) bien connue au quartier Takaddoum, une banlieue de Rabat, défend son travail comme elle le qualifie. "Ma tâche se termine au moment où je place la bonne chez ses employeurs; ce qui se passe après ne me regarde pas, mais elle est libre de les quitter si cela ne répond pas à ses attentes, et je pourrais alors lui chercher une autre famille et ça me fera une paie de plus" (30 dollars par enfant placé), déclare-t-elle avec arrogance.

Sur les malheurs et violences que ces filles subissent, Fatima répond sans aucun remords : "Si leurs parents ne se soucient pas de leur sort, pourquoi je le ferai? Je ne suis pas responsable de ce qui leur arrive, c'est un service rémunéré que je rends et c'est mon gagne-pain".

"Miseria", un livre-témoin

Une vingtaine d’histoires de victimes (petites bonnes maltraitées ou enfants abandonnés) qui ont fortement marqué l’opinion marocaine.

Ce livre a été motivé, notamment, par le sort des femmes qui accouchent sans être mariées: si elles se risquent d’aller à l’hôpital, elles sont arrêtées, jugées et condamnés à 3 à 6 mois de prisons «pour prostitution». L’enfant est soit emprisonné avec la mère, soit confié à l’orphelinat. L’autre solution pour les mères célibataires (presque toujours rejetées par leur famille) est d’accoucher seule…

L’auteur «choquée par la façon dont la société marocaine rejette les mères célibataires », a créé l'association Solidarité féminine pour s'occuper de ces jeunes femmes que la loi considère comme des prostituées et qui sont, pour la plupart, de "petites bonnes" abandonnées après avoir été, souvent, abusées par l'un des hommes de la famille qui les emploie. Au Maroc, le sujet est tabou ».

L’avocate: "80 % des femmes expulsées de chez elles n’ont pas de revenus. Que voulez-vous qu’elles fassent ? Qu’elles se prostituent ? On les y pousse. La répudiation est une catastrophe, une épée de Damoclès sur la tête des femmes. Si l’on veut légiférer utilement, il faut commencer par instaurer une vraie loi sur le divorce, une loi qui protège la femme".

10, rue Mignard, quartier Palmier, Casablanca. Une grande maison, siège de l’Association Solidarité féminine. Ici règne Aïcha Ech Channa, grande et forte femme que rien ne décourage. Elle accueille les femmes abandonnées; les petites bonnes violées puis jetées à la rue; celles auxquelles un homme a promis le mariage avant de s’enfuir, laissant la fiancée enceinte, les filles violées par un père ou un oncle; les femmes qui avaient été répudiées sans le savoir et se retrouvent enceintes d’un enfant illégal… »

En 1997 le livre a été traduit en arabe. En juin 1998, Miseria reçoit le prix Grand Atlas 1998 pour le livre de témoignage, remis par Edmonde Charles-Roux à l’ambassade de France à Rabat.

"Petites bonnes", un documentaire

Pendant plusieurs années, à Marseille, Hajiba et Soumia ont été séquestrées et exploitées par des familles marocaines. Bruno Ulmer a suivi ces deux jeunes filles, qui tentent aujourd'hui de reconstruire leur vie.

Hajiba avait 16 ans quand elle est entrée illégalement en France en 1999. Soumia, elle, avait 13 ans lorsqu'elle est arrivée pour travailler chez sa tante. Pour ces deux jeunes Marocaines, ce voyage était l'occasion d'aider financièrement leurs familles restées au pays et de poursuivre leurs études. Un espoir qui a très vite tourné au cauchemar: pendant trois ans, Hajiba a été séquestrée et exploitée par la famille marocaine pour laquelle elle travaillait. Pour Soumia, le calvaire a duré sept années durant lesquelles elle a enduré, en plus d'un travail harassant, les coups de sa tante…

Grâce à l'association Esclavage Tolérance Zéro, Hajiba et Soumia ont réussi à quitter les familles qui les exploitaient. C'est dans cette association que Bruno Ulmer a rencontré les deux jeunes filles. Pendant un an, il a regardé comment elles réapprenaient à vivre, à reconstruire minutieusement leur identité.

Pour essayer de mieux comprendre ce qui se cachait derrière leurs visages fermés, le réalisateur a pris le parti de les filmer en gros plan. Leurs regards sont vides et tristes, leur peau marquée de nombreuses cicatrices et traces des coups. Ces visages silencieux en disent bien plus long sur ce qui s'est passé que la parole de ces jeunes femmes, incapables de mettre des mots sur les souffrances qu'elles ont endurées.

Malgré tout, leur vitalité étonne. Hajiba parle d'avenir avec un grand sourire rêveur, tandis que Soumia évoque avec enthousiasme son futur appartement. Mais le combat est loin d'être gagné. Car la plupart des "petites bonnes" sont malheureusement aussi les esclaves sexuelles de leurs patrons. Hajiba et Soumia craignent que, parce qu'elles ont perdu leur virginité, leurs familles ne les rejettent si elles rentrent au Maroc. Victimes une première fois de leurs bourreaux, elles le sont une seconde fois parce qu'elles sont obligées de rester en France, un pays qui leur est étranger.

Les causes du phénomène des petites bonnes

Transformer une fille de 7 ans en source de rente familiale au lieu de lui donner sa chance à l'école, voilà la première violence (sociale) que subit la population étudiée. HRW ne s'attarde pas trop sur ce qui se passe en amont, dans le rural. D'autres enquêtes préalables, comme celle menée par Fafo et Save the Children en 2001, avaient noté que « les filles et leurs parents considéraient le travail domestique chez un employeur comme une alternative à l'école, non comme une activité complémentaire ». Dans un atelier organisé par des associations de Droits de l'enfant, « les petites bonnes citent souvent l'absentéisme des enseignants, la violence en classe, comme les premières raisons qui les poussent à quitter l'école et à se réfugier dans le travail », rapporte Lahcen Haddad. HRW en prend note et ajoute que dans les douars, « la scolarisation des mères, tout comme l'accès à l'eau potable et à l'électricité, réduisent de 15 % les chances des petites filles à devenir des bonnes en ville ». Et que fait l'état ? Il prodigue à une infime minorité deux heures par semaine de cours dans le cadre de l'enseignement informel. Un cache-misère. D'autant que la Convention des droits de l'enfant adoptée par le Maroc stipule que « le travail des enfants de moins de 14 ans n'est autorisé que par intermittence, après l'école ». Certes, l'employeur refuse souvent de jouer le jeu. Mais il revient aux autorités de l'y astreindre.

Le sociologue Mohamed Bouchtaoui explique que les facteurs socio-économiques de ce phénomène sont nombreux. "Il y a d’abord la pauvreté et l’abandon scolaire en milieu rural qui alimentent le marché du travail domestique. Il y a aussi un facteur culturel, beaucoup de familles favorisant les pratiques discriminatoires basées sur le sexe. Les filles se voient confier traditionnellement les tâches domestiques. Le troisième facteur est lié au vide juridique. Il n’existe toujours pas une loi qui réglemente le travail domestique."

Sachant que ces filles ont souvent du mal à sortir du cycle infernal de la dépendance matérielle, HRW estime qu'elles sont prises au piège d'un système sans merci. Lequel ? “Celui de la mondialisation, explique l'économiste Mehdi Lahlou. Puisque nous faisons partie des pays non compétitifs qui emploient les enfants, à bas salaires, pour rester dans la course”. L'explication est d'autant plus valide que les petites bonnes représentent 72% des enfants qui travaillent dans les villes, selon une étude gouvernementale.

Ces petites filles sont également prisonnières d'un système d'intermédiaires. Les samsara sont les seuls contacts directs de ces bonnes, mais puisqu’intéressés, ils ne peuvent les protéger des abus de leurs employeurs. Même lorsqu'elles veulent fuir leur destin, les intermédiaires leur brouillent les pistes et les empêchent de retourner chez leurs parents.

Elles sont par ailleurs victimes d'un système judiciaire défaillant et injuste. « Même lorsque des parents récupèrent une fille battue, brûlée et mal en point psychologiquement, ils ne vont pas porter plainte parce qu'ils considèrent cela comme une perte de temps », note Bencomo. Enfin, ces filles sont otages d'un système qui ne donne pas de primauté à la législation et aux conventions internationales.

Recommandations: Que faire ?

L’intérêt du rapport de Human Rights Watch (HRW) est qu'il énumère un ensemble de prédispositions à prendre d'urgence. Parmi celles-ci :

- l'adoption des critères de l'Organisation internationale du travail en vue d'éliminer les pires formes de travail des enfants;

- la prévision de sanctions contre les employeurs qui abusent des enfants;

- la ratification du Protocole international relatif à la suppression du trafic des personnes;

- la mise en application des mêmes droits prévus pour les jeunes travailleurs au profit des petites bonnes;

- l'autorisation des inspecteurs de travail d’aller enquêter dans les maisons et d’appliquer des sanctions contre les employeurs qui enfreignent la loi;

- l'application pour tous du droit à l'accès à l'école, sans que les frais de scolarité ou autres formalités administratives deviennent des obstacles;

- la création de ponts flexibles entre l'enseignement informel et formel afin de permettre la réintégration des petites bonnes;

- la poursuite d'employeurs qui exploitent sexuellement leurs petites bonnes.

 

  Source des informations: article de Salma Daki du 23.01.2006 sur yabiladi.com; www.emarrakech.info; www.telquel-online.com; www.maroc-hebdo.press.ma; article de Sarah Touahri du 23.01.2007 sur www.magharebia.com; ipsinternational.org; article de Mohamed AKISRA du 15.06.2005 dans l'Economiste sur le site de www.casafree.com; www.marocinfo.net; www.bibliomonde.com; enfantsdelarue.blogspot.com; www.unicef.fr

Source des photos: www.unicef.fr

Référence du livre cité: « Miseria », Aïcha Ech-Channa, 1996, 208 p.,  ISBN: 9981-838-44-4 (3e édition).

Référence du film documentaire: "PETITES BONNES", Réalisateur Bruno ULMER, Producteur SON ET LUMIERE, 2003, Catégorie Programme Unitaire, Genre Documentaire, ARTE PRO, www.artepro.com